Sortir du syndrome montréalais du gardien sauveur

Depuis le début de ce blogue, et avant sur le défunt blogue de Mathias Brunet, «Rondelle Libre», la disussion a souvent tourné autour de la meilleure façon de s’y prendre pour construire un club gagnant de la coupe Stanley dans l’ère moderne de la LNH, soit une ligue à 30 clubs, maintenant 31, et bientôt 32. On a souvent souligné que depuis au moins 15 ans, les champions de la coupe Stanley ont obtenus la plupart de leurs joueurs vedettes lors d’un passage assez prolongé dans les bas-fonds du classement. Cela en a amené plusieurs à penser que ce passage abyssal était une condition sine qua none pour arrivé au statut de champion. Ce débat est aujourd’hui pas mal éculé. On a analysé la chose dans tous les sens, et la conclusion n’est pas claire. Bien sûr accumuler les choix élevés au repêchage a mené à la formation d’équipes championnes, Pittsburgh, Chicago et Washington en sont des exemples patents. Ceci dit, il y a des contre exemples de club ayant beaucoup repêché à des rangs élevés et pour qui cela n’a toujours rien donné, Edmonton, Buffalo, Toronto et Floride sont des équipes qui me viennent rapidement à l’esprit. Ceci dit, ces clubs possèdent encore la plupart des joueurs obtenus lors de leurs passage dans les profondeurs du classement. Alors, rien ne dit qu’ils ne finiront pas par gagner le fameux trophée. L’exemple de Washington devrait leur donner espoir car il a fallu beaucoup de temps pour que Ovechkin et Backstrom rapportent une coupe aux Capitals.

En repensant encore une fois à cette question, et en constatant encore une fois comment le marché québécois est allergique à la défaite de son club favori, je me suis demandé pourquoi? Pourquoi d’autres villes de hockey peuvent accepter une descente aux enfers de quelques années, et pourquoi Montréal y est totalement réfractaire? Après réflexion, pour moi la réponse se trouve dans l’histoire du club. Les Canadiens de Montréal ont une glorieuse histoire, on le sait, mais cette histoire victorieuse de plus en plus lointaine semble être devenue l’entrave principale à l’obtention de la fameuse 25ième coupe. Je ne referai pas ici toute l’histoire dans le détail, on la connaît. Le club a gagné de très nombreuses coupes dans une ligue à six clubs un peu folklorique avec une mainmise quasi totale sur les meilleurs joueurs du Québec qui comptaient alors pour le tiers de la population du pays et où 95% des joueurs de la ligue étaient Canadiens. C’était avant le repêchage universel comme on le connaît aujourd’hui. Puis il y a eu la ligue à 12 clubs dans les années 70 où le club montréalais avait toujours un bon avantage tellement il avait accumulé de bons joueurs avant l’expansion. Cela a permis à Sam Pollock de rouler dans la farine les DG incompétents des Golden Seals de la Californie et des Rockies du Colorado et d’ainsi obtenir deux premiers choix au total ayant rapporté Guy Lafleur et Doug Wickenheiser. Ce ne sont là que les deux exemples les plus frappants ayant permis à Pollock de perpétuer la domination du club jusqu’à la fin des années 70. Il est à noter que cette période de 1950 à 1980 du CH a vu évoluer pour l’équipe deux gardiens marquants, soit Jacques Plante et Ken Dryden. Les équipes championnes de cette période glorieuse ne reposaient pas totalement sur ces deux gardiens, mais les deux furent parmi les meilleurs de leur époque. Même le trophée Vézina remis au meilleur gardien a été nommé en l’honneur d’un ancien gardien des Canadiens, en ajoutant Bill Durnan et Georges Hainsworth à la liste, la position de gardien a toujours été un point fort de l’équipe et cela a marqué la mentalité des amateurs de hockey québécois.

À partir du début des années 80 et la fin de l’ère Pollock, on peut dire sans se tromper que le club montréalais avait perdu en très bonne partie l’avantage hérité des règles de la ligue à six clubs. Il était désormais dans une ligue à 21 clubs où son seul avantage était sa tradition gagnante. Malheureusement, le choix mal avisé de Doug Wickenheiser au tout premier rang du repêchage de 1980, au détriment du p’tit gars de la place, Denis Savard, allait marquer solidement le début de cette nouvelle ère où le CH devait désormais batailler à armes égales contre 20 autres équipes, un nombre qui allait continuer d’augmenter au fil des ans. Le repêchage de 1980 aurait pu marquer le début d’une longue disette pour le glorieux club montréalais, mais l’arrivée de Serge Savard a redonné du tonus à l’organisation. Celui-ci n’entendait pas laisser le club tomber dans le bas du classement, et il a réussi à éviter cette glissade en repêchant le gardien Patrick Roy en 1984 au rang #51, un choix de troisième ronde dans le temps, mais qui serait un choix de fin de deuxième ronde aujourd’hui. Ceci dit, il faut se rappeler que la LNH était encore canadienne à plus de 90% à cette époque, et le bassin de talent beaucoup plus restreint. Alors il est logique de dire que Roy était vraiment un choix de troisième ronde, autant dire un coup de dé bien étudié, mais qui restait un coup de dé. Ses stats junior étaient simplement horribles entre 4.5 et 6.2 buts alloués par match pour une mauvaise équipe à Granby et dans une LHJMQ où il se compatait généralement beaucoup plus de buts qu’aujourd’hui. Malgré cela, deux ans plus tard il allait gagner son premier trophée Conny Smythe et permettre au CH de gagner miraculeusement une 23ième coupe. Roy répètera le même doublé en 1993 pour prolonger le statut de club champion de l’équipe montréalaise dans une autre décennie. Il refera ce doublé Conny Smythe et coupe une autre fois en 2001 au Colorado pour ajouter à sa légende.

Donc, on vient de rapidement repasser la glorieuse histoire du CH au cours de laquelle les gardiens élites ont toujours tenu un rôle central, rôle que Patrick Roy et son esprit de compétition hors du commun ont poussé à un niveau inégalé. Les deux dernières coupes de l’équipes sont clairement les siennes. Bien sûr le hockey demeure un sport d’équipe, mais à chaque fois, en 86 et en 93, Roy a élevé un club non favori au statut de champion. Il a de loin été le joueur le plus utile. En fait il a été un joueur irremplacable qui a fait en sorte que la mythification du rôle du gardien a atteint un autre niveau dans l’imaginaire collectif des partisans du club. Il n’y a pas un joueur de la glorieuse histoire du club qui a eu un impact aussi important dans une victoire de la coupe Stanley, pas Maurice Richard, ni Jean Béliveau, ni Guy Lafleur. Personne. Patrick Roy lors de ces deux conquètes montréalaise de la coupe a littéralement marché sur les eaux. Il avait atteint un tel statut, une telle importance, que cela a mené à la fin malheureuse, abrupte et amère que l’on connaît. N’empêche que son héritage au club montréalais a été la mythification absolue du rôle de gardien, en plus de prolonger un peu artificiellement le statut de club gagnant et champion de l’équipe. Ce qui fait que durant 15 ans, à partir de 1980, la mentalité montréalaise n’a pas changé. Les Canadiens de Montréal demeuraient une organisation gagnante faisant partie du cercle des clubs champions et des aspirants réguliers aux grands honneur. Alors qu’une prise de conscience de la nouvelle donne de la LNH à partir du début des années 80 aurait dû avoir lieu, Patrick Roy a maintenu l’illusion et la mentalité du marché a stagné. Cette situation a mené à la déconfiture des 25 années suivantes où ce club et ce marché allergiques aux séquences de défaites prolongées s’est complu dans le déni et la glorification des gardiens de buts. Le marché pensait avoir retrouvé un sauveur au début des année 2000 avec José Théodore et sa saison extraordinaire couronnée du trophée Hart. Un trophée qui avait échapé au dieu Patrick. C’est tout dire. Non rassasié de gardiens élites, le club utilise un choix très élevé tombé du ciel en 2005 pour choisir Carey Price au cinquième rang, et là, sans exploits majeurs, la mise sur piedestal du gardien allait atteindre des sommets inégalés. Le marché montréalais avait perdu toute perspective, de même que les dirigeants du club. La direction allait enligner les gestes à courte vue pour tenter d’améliorer l’équipe et de faire les séries, en ayant en tête l’idée qu’une fois qualifiée pour celles-ci, Price allait pouvoir répéter les exploits de Saint-Patrick. Malheureusement, comme on le sait aujourd’hui, le beau Carey n’y est jamais parvenu. Sans une blessure malencontreuse il aurait probablement permis une apparition en finale en 2014, mais il est très peu probable que Montréal ait été capable de battre les Kings en finale, eux qui ont balayé les Rangers en seulement cinq matchs.

Nous sommes maintenant en 2020, et il me semble qu’à la lumière de l’histoire de l’équipe et des changements majeurs qui sont survenus dans cette ligue et dans la façon dont se joue le hockey dans la LNH aujourd’hui, un changement de mentalité majeur devrait s’opérer dans la tête de tous ceux qui s’intéressent aux Canadiens de Montréal. La dernière coupe et les derniers exploits montréalais de Patrick Roy remontent maintenant à presque trois décennies. La dépendance aux gardiens de but n’a mené qu’à de faux espoirs et à une série de décisions mal avisées de la part des dirigeants succesifs de l’équipe. Il est temps que tous ceux qui s’intéressent à ce club se rendent finalement compte que ce club est maintenant très loin de son époque glorieuse, et surtout que le club évolue aujourd’hui dans une ligue et sur une planète hockey totalement différentes. Le Club de Hockey Canadiens n’est pas différents des autres par rapport aux moyens qui sont à sa disposition pour un jour gagner la coupe Stanley de nouveau. Cela veut dire que comme toutes les équipes des passages à vide sont inévitables. Le marché doit apprendre à accepter un passage de quelques saisons vers le bas du classement. C’est un passage nécessaire pour pouvoir remonter. Il faut cessez de croire aux miracles à la Patrick Roy. Cela n’existe plus dans le hockey d’aujourd’hui, surtout au poste de gardien. La technique de Benoît Allaire, si bien appliquée par Roy, a été améliorée et est adoptée partout dans le monde du hockey aujourd’hui. La position de gardien est de moins en moins une position qui fait la différence car il y a pas mal plus de parité dans l’excellence à cette position aujourd’hui. Il faut donc cesser d’être allergique à la défaite. Ça fait 27 ans que l’équipe ne gagne pas le trophée ultime de toute façon. Il faut aussi cesser de ramener de l’avant, à haute fréquence, le passé glorieux du club. Je ne dis pas de l’oublier, mais le ramener constamment n’aide en rien ceux qui doivent évoluer dans une ligue bien différente aujourd’hui. J’ai pensé écrire ce long texte car il me semble qu’il est temps que le marché montréalais, ce qui inclut la direction de l’équipe, la faune médiatique qui commente ce que fait l’équipe, et les partisans de l’équipe, sortent de leur état presque schizophrénique. Il faut sortir du «faire les séries car avec Carey tout est possible». Il faut cessez d’être hystériques parce que le CH va rater les séries pour une quatrième fois en cinq ans. À cela je réponds que le club va rater la coupe pour une 27ième fois en 27 ans et qu’en plus, en 27 ans il n’est jamais vraiment passé proche de ramener le fameux 25ième titre. Ce texte est un appel à la raison et à la lucidité. Je sais que je ne suis pas un acheteur de billets au Centre Bell, mais ça ne change rien au besoin de réalisme de la base partisane du club, en autant que la direction montre du leadership et assume la réalité de sa situation actuelle et s’engage à ne pas répéter les erreurs du passé. Ce texte n’est pas un appel au sabordage et au démentellement de l’effectif actuel du club. Ce texte est un appel à agir de façon réaliste et conséquente. Un appel à assumer et à persévérer car je pense que l’équipe est en bon chemin. Ce texte est un manifeste contre les impatients qui veulent du changement pour du changement, sans vision, sans perspective, en vivant encore et toujours dans l’illusion du gardien miraculeux et de la gloire passée.

Comparaison Montréal-Ottawa

Depuis l’article cette semaine de Mathias Brunet sur le fait que les Sénateurs d’Ottawa y vont d’une reconstruction sans compromis, contrairement aux Canadiens de Montréal, j’ai pensé que ce serait une bonne idée de comparer les actifs des deux organisations, tant au niveau de la LNH que hors de celle-ci.

Je vais y allé d’abord en identifiant des joueurs importants qui sont plus ou moins équivalents en terme de valeur. Je dis bien plus ou moins, ce n’est pas une science exacte.

Danault-Pageau

Domi-Duclair

Suzuki-Tkachuk

Ce sont les seules combinaisons qui me semblaient un peu équivalentes, même si dans les trois cas je préfère les joueurs du CH, Danault est plus complet, Domi a de bien meilleures stats en carrière et Suzuki sera un premier centre de 80-100 points par saison à maturité. Tkachuk est un bon joueur physique et teigneux, mais son plafond offensif est moindre et c’est un ailier.

Après ça, avec ce qui reste, on peut faire deux blocs d’attaquants et comparer la valeur de chaque bloc.

Tatar, Gallagher, Drouin, Armia, Lehkonen

Brown, Ennis, Tierney, Namestnikov, Anisimiov

Large avantage pour Montréal entre ces deux bloc de cinq joueurs avec un âge moyen similaire.

Ensuite, voyons les unités défensives.

Weber, Petry, Chiarot, Mete, Scandella, Kulak

Chabot, Borowiecki, Hainsey, Zaitsev, DeMelo, Reilly

Ici, la comparaison est plus compliquée. Chabot est de loin le défenseur avec le plus de valeur à cause de son niveau de jeu élevé et de son âge. Le CH n’a pas actuellement un jeune défenseur de ce calibre au niveau de la LNH. Alors disons qu’on combine deux défenseurs ayant à peu près le même âge, Chabot et Mete, le verdict est très fort avantage pour Ottawa. Toutefois, la valeur d’échange du quintet Weber, Petry, Chiarot, Scandella, Kulak est énormément supérieure à celle de Borowiecki, Hainsey, Zaitsev, DeMelo, Reilly. Donc, Ottawa a un jeune défenseur #1 en Chabot, alors que Montréal pourrait aller chercher pas mal de jeunes actifs de haute qualité si le club décidait d’échanger Weber, Petry et Chiarot.

Finalement, dans les buts, il n’y a pas photo. La valeur d’échange de Price est de loin supérieure à celle des trois gardiens utilisés par Ottawa cette année, et rien ne permet de penser que Hogberg ou Nilsson peuvent être la solution à long terme comme gardien #1 du club. Ce n’est pas impossible car les gardiens peuvent prendre du temps à s’établir, mais pour le moment ce n’est pas le cas.

Donc, au niveau de la LNH, Ottawa a l’avantage d’avoir un jeune défenseur #1 en Chabot, mais pour le reste, le CH a un avantage très marqué. Si le club montréalais se lançait dans une vente de liquidation ordonnée et graduelle de ses joueurs de 24 ans et plus, il obtiendrait un retour de loin supérieur à ce que les Sénateurs pourrait obtenir. Donc, au niveau des joueurs de la LNH, si Montréal décidait de suivre la voie de la reconstruction sans compromis, le club obtiendrait beaucoup plus de valeur.

Maintenant, regardons la profondeur au niveau de la AHL en se concentrant sur les jeunes joueurs avec un potentiel réel dans le futur au niveau de la LNH. J’y ai mis Poehling car c’est là, selon moi, qu’il va finir l’année.

Kotkaniemi, Poehling, Evans, Fleury, Brook, Primeau

Batherson, Norris, Brown, Formenton, Abramov, Balcers, Brannstrom, Jaros, Lajoie

Au niveau de la AHL, Les Sens l’emporte haut la main au niveau du nombre de bons prospects, mais Montréal possède, selon moi, les deux joueurs avec le plus haut potentiel en Kotkaniemi et Primeau. Fleury a aussi déjà prouvé qu’il est un défenseur qui va jouer longtemps dans la LNH. Disons que cette catégorie de jeunes joueurs, sans surprise, car on parle de projection, donne plus de place à la spéculation.

L’autre catégorie est celle des prospects hors AHL. Voici les plus importants pour les deux équipes:

Caufield, Romanov, Struble, Harris, Norlinder, Ylonen, Hillis, Olofsson, Ikonen, Fonstad, Pitlick.

Thomson, Pinto, Bernard-Docker, Tychonyk

Dans cette catégorie, il n’y a pas photo, le pipeline de Montréal est de loin supérieur à celui d’Ottawa, même si encore là il est tôt pour juger avec certitude.

La dernière catégorie est celle des choix au repêchage à venir. Les Sénateurs ont clairement l’avantage car ils possèdent le choix de première ronde des Sharks. Ce qui devrait leur donner deux choix top-10, et peut-être même top-5. Ils ont aussi trois choix de deuxième ronde en 2020 et trois autres en 2021. Le CH lui a seulement son choix de première ronde 2020, qui sera peut-être top-10 si le club ne remonte pas au classement. Montréal a aussi deux choix de deuxième ronde en 2020. Quand même, Ottawa a un fort avantage à ce niveau.

Donc, Montréal a un meilleur pipeline hors AHL issu principalement de leurs deux derniers repêchages, alors que Ottawa est mieux nanti pour les deux prochains repêchages. Si on combine les joueurs actuels au niveau de la LNH et de la AHL, Montréal a quand même un bon avantage avec plusieurs vétérans ayant toujours une très bonne valeur d’échange. Il difficile de trancher à savoir quelle organisation est la mieux placée pour le long terme, car ça dépendra de la gestion des actifs de chaque organisation et de la qualité réelle des pipelines de chacun et de la qualité des repêchages à venir. Ottawa aura deux très bons billets de loterie en 2020 et pourrait frapper très fort. Ceci dit, la position de Montréal n’a rien à envier à celle d’Ottawa. Le club montréalais opte pour un parcours moins drastique, mais la clé pour les deux organisations demeurera le taux de succès avec leurs choix de repêchage ou les prospects obtenus par transaction et c’est là que c’est très difficile d’avoir de la certitude. Toutefois, une chose que j’aime des deux organisations, c’est la profondeur en jeunes actifs. Les deux ont tellement de jeunes joueurs prometteurs et de choix de qualité à venir, qu’il est peu probable que ça ne donne pas de bons résultats à terme car il y a place pour certaines déceptions étant donné le nombre élevé de jeunes prometteurs. En d’autres mots, quand tu as juste quatre ou cinq prospects/choix intéressants dans le système la possibilité de faire chou blanc est réelle, mais quand tu en as une quinzaine, les probabilités de réussite sont favorables.