Construire pour durer

J’ai parlé l’autre jour du fait que le CH, par la force des choses, se retrouve avec un pipeline très profond, mais sans future super vedette à la McDavid. À l’ère du plafond salarial, ce modèle n’est pas nécessairement vilain. Vegas vient de gagner une coupe sans joueur exceptionnel dans leur alignement. Ceci dit, Hughes a dit depuis son embauche que son but est de bâtir un club qui sera aspirant à la coupe de manière pérenne. Cela me porte à parler de nouveau d’une chose que j’ai souvent évoquée sur ce blogue, c’est-à-dire l’importance de ne pas dépenser ses actifs pour faire un coup sur le court terme et de viser l’établissement d’un processus de rajeunissement systémique à l’interne. Pour ce faire un pipeline profond est nécessaire, et s’il est bien géré, cela peut permettre une telle approche de gestion.

Bon j’ai pris un peu des grands mots pour exposer ma conception des choses, mais après mon exemple de tirage sur les feuilles de carottes pour expliquer mon approche patiente avec les espoirs, je vais y aller d’une autre comparaison agricole. En plus des carottes, je cultive aussi mon ail, et à mes premières années, à chaque automne je payais pour acheter de nouvelles gousses pour les semences et je mangeais l’ail que j’avais fait pousser. Ce processus était coûteux à chaque année et je me suis dit qu’il vaudrait mieux payer encore plus pour cultiver un surplus d’ail et utiliser le surplus pour semer pour l’année suivante et ne plus avoir à dépenser pour les semences. Donc, une partie de mon ail ne serait pas cultivé pour être mangé, mais bien pour soutenir une production autosuffisante année après année.

Si on applique cet exemple à la gestion d’un club de hockey, il est important de noter que la seule façon par laquelle ça pourrait fonctionner, c’est si un club a un surplus de bons joueurs dans son organisation, ça inclut tous les joueurs, vétérans, jeune vétérans, jeunes joueurs au niveau de la LNH, espoirs et même la banque de choix au repêchage. Si un club a un bon surplus il lui est possible de gérer en visant l’autosuffisance car il y a un nombre de places limité avec le grand club, et le respect du plafond salarial limite aussi le type de joueurs qui peuvent cadrer dans un alignement. En d’autres mots, tu peux avoir des hauts salariés, mais il faut aussi des bons joueurs à salaire plus abordables pour monter un club aspirant, d’où l’importance d’avoir des jeunes joueurs de qualité qui peuvent donner de bonnes saisons à un coût raisonnable. Le CH espère ce genre de saisons actuellement de Kirby Dach, Alex Newhook, Mike Matheson, Kaiden Guhle, Jordan Harris et quelques autres. Mais, si ces joueurs s’épanouissaient de manière importante dans les années à venir, le club ne pourrait pas tous les garder avec des augmentations salariales importantes. C’est là qu’un pipeline profond entre en jeu. Si la relève est bonne, le club peut échanger un très bon joueur au sommet de sa valeur en sachant qu’il a des jeunes pour assurer la suite, ou qu’il a les actifs pour acquérir un autre bon jeune joueur pour remplacer celui qui part. Mon surplus de gousse d’ail évoqué plus haut, ça fait partie de ce que j’ai souvent appelé la masse critique de talent. C’est le fait d’avoir tellement de bons joueurs dans une organisation, des espoirs aux vétérans, pour pouvoir vraiment gérer avec les ressources internes le roulement de personnel au fil des ans tout en maintenant un club aspirant.

Ce modèle est l’inverse de ce que Toronto a fait avec cinq joueurs vedettes à forts salaire et le reste du club étant un ramassis de toutes sortes de joueurs, sans compter que Toronto a constamment dilapidé ses hauts choix de repêchage pour obtenir de l’aide à court terme pour les séries. Il y a aussi la méthode Julien Brisebois à Tampa Bay. Il a hérité d’un très bon club de Yzerman bâti par le repêchage, mais quand il a approché de la coupe, il a décidé lui aussi de renoncer à maintenir un repêchage de qualité et a décidé d’acheter des joueurs de soutien de qualité en échangeant ses hauts choix. Les exemples de ce type d’échanges par Tampa sont nombreux, les plus récents étant les acquisition de Tyler Jeannot et Brandon Hagel, mais Brisebois avait fait de même pour David Savard, Barclay Goodrow, Blake Coleman, Ryan McDonagh et JT Miller. Tout ça sans compter un joueur comme Alex Killorn qu’ils a décidé de garder une année de trop et qui a mené à sa perte pour rien en retour comme joueur autonome sans compensation.

Je pense qu’un club avec suffisamment de profondeur organisationnelle peut éviter de tomber dans ce genre de pièges et quand même finir par gagner la coupe. Prenez Toronto, ils sont maintenant à la merci de Matthews et Nylander. Si ces deux joueurs refusent de prolonger leur contrats, les Leafs seront forcés de se lancer de nouveau dans une reconstruction, et ce, sans rien avoir accompli. Au moins, Tampa, malgré un club en déclin et un pipeline presque vide, a deux coupes pour justifier les gestes qu’ils ont posés. Finalement, le but de ce texte c’est qu’à mon avis HuGo ont les mains pleines. Non le CH ne gagnera pas la coupe la saison prochaine, mais si les dirigeants gèrent bien tous les actifs qu’ils ont actuellement, incluant la banque de choix et la flexibilité salariale, ils ont ce qu’il faut pour établir un club gagnant et aspirant à la coupe qui pourrait maintenir ce statut pendant longtemps. Oui la valeur du pipeline reste à confirmer, il y a un intervalle de possibilités entre le plancher et le plafond, mais si ce pipeline ne dépassait pas de beaucoup le plancher, ce serait quand même pas mal bon, et si ça s’approchait du plafond, alors il est sûr que la coupe reviendrait à Montréal dans la décennie à venir. Ceci dit le pipeline actuel est une chose, sa gestion en est une autre. Il faut espéré que Hugo sauront agir avec clairvoyance, patience et sagesse.