Le retour à la réalité sera difficile

Le repêchage est terminé. Dans le cas des Canadiens les journalistes et commentateurs ont parlé d’audace et cela a été vu de façon très positive. Peut-être est-ce le sage en moi qui parle, mais l’audace est célébrée quand elle mène à des résultats positifs, et ça on ne le sait que plus tard dans le cas du repêchage, en cas inverse, à terme, l’audacieux reçoit le bonnet d’âne. Ceci dit, même si je fais partie de la faible minorité qui n’est pas convaincue de la totalité des derniers gestes du club, je me dois de laisser la chance au coureur car il y a trop de facteurs dont je suis incertain. Slafkovsky et Dach me semblent des points d’interrogations, des paris, mais j’avoue ne pas les connaître suffisamment pour y aller d’une condamnation ferme de ces décisions. Par exemple, j’étais sûr que Bergevin avait cafouillé dans sa gestion des cas Danault et Gallagher. Je connaissais très bien ces joueurs et il n’y avait pas de doutes dans ma tête, Bergevin avait agi dans ces deux cas à l’inverse du bon sens. Dans le cas de Slafkovsky et Dach, il faudra du temps et un suivi des joueurs pour voir comment tout cela va tourner.

Donc, je vais me garder une petite gêne avant de dénoncer les gestes posés. Ceci dit, si c’est moi qui avait pris les décisions, j’aurais clairement choisi Wright et je n’aurais pas fait la transaction pour Dach. Mais, encore une fois, il se peut que ces décisions soient bonnes. Seul l’avenir le dira, et il se peut qu’au final, Slafkovsky et Wright deviennent tous deux de très bons joueurs de valeur à peu près équivalente. Pour le reste du repêchage, je préfère ma liste à celle du CH. Bien sûr, si Lane Hutson gagne deux ou trois pouces il pourrait être un vol de ce repêchage, car le talent est là. Owen Beck m’apparaît comme un choix sans beaucoup de potentiel élite. Basu et Godin dans leur balado disaient que selon leurs contacts, la plafond de Beck était celui d’un joueur de 3e trio, et pas sûr que ce soit au centre. Ça vaut ce que ça vaut, mais pourquoi prendre un tel joueur en tout début de 2e ronde? Filip Mesar est rapide et habile, il semble y avoir un potentiel offensif, mais pour un Slovaque la petite taille en première ronde n’était pas un problème, alors qu’on a passé sur Jordan Dumais en fin de 3e ronde. Il est moins rapide que Mesar, mais son hockey IQ est supérieur et on parle de deux rondes d’écart. C’est difficile à comprendre de la part d’un club du Québec. Vinzenz Rohrer, lui, était sur ma liste, alors je suis heureux de ce choix. Il est très jeune. C’est donc un pari sur 6 à 12 mois de progression supplémentaire par rapport aux joueurs nés dans la première moitié de l’année d’éligibilité. Cédrik Guindon me semble aussi un bon pari en fin de 4e ronde. 59 points en 68 matchs sur un club faible, mais 34 points à ses 30 derniers matchs. Les autres joueurs choisis me laissent froid. Il y aura peut-être une surprise parmi ceux-ci, on ne sait jamais, mais je n’y compte pas. Pour moi il n’y a que six joueurs avec, à divers degrés, une chance de faire carrière en LNH.

De toute façon, ce repêchage sera jugé en très grande partie sur le choix de Slafkovsky. S’il y a eu erreur majeure sur ce choix, le reste ne compensera pas le déficit, même si certains autres choix tournent plutôt bien. Aussi, si cette organisation est sérieuse, elle doit changer ses dépisteurs au Québec et nommer quelqu’un qui pourra être plus influent. Que le dépisteur suédois du club, qui n’a accumulé que des flops en Vejdemo, Olofsson et Norlinder ait toujours préséance sur les dépisteurs québécois n’a aucun sens. J’aurai la non sélection de Jordan Dumais sur le cœur longtemps car j’ai la conviction que ce jeune va réussir.

J’ai lu et écouté pas mal de commentaires cette semaine autour du repêchage, et il y a plusieurs choses qui me font tiquer. Je dirais que la plus importante est le mythe du «développement». J’utilise les guillemets car pour moi, cette idée de développement est le plus grand fantasme qui existe dans le monde du hockey. L’idée qu’un club aurait des coachs avec une baguette magique pour tourner des joueurs déficients en joueurs d’impact de la LNH est ridicule. L’idée qu’un club est capable de faire ça et qu’un autre ne le pourrait pas, dans la LNH moderne, avec toutes les ressources qui existent est une vue de l’esprit. Ça n’existe pas dans la réalité.

Tous les clubs offrent un coaching et un encadrement professionnel similaires à ses joueurs. Certains clubs sont certainement un peu meilleurs que d’autres pour une période donnée, mais la différence au final n’est pas significative. Ce n’est pas cela qui fait la différence entre le succès et l’échec d’un joueur. 90% du résultat final dépend du joueur lui-même, de son talent de base, de sa marge de progression inachevée au moment de son repêchage, de sa volonté de réussir, de son engagement et de sa discipline comme athlète. 90% du résultat est dans le joueur au moment de son repêchage, et le 10% restant dépend du coaching et de l’encadrement, mais il n’y a pas de club où cet aspect sera totalement nul.

Donc, cette histoire de développement se joue à la marge, sur le 10% que je dis être extérieur au joueur lui-même. Ça laisse peu de d’espace de manœuvre aux coachs d’un club pour faire une différence. On voit que la possibilité de différence de «développement» par une équipe par rapport à une autre est au mieux marginale. Je donne des pourcentages empiriques, mais pour moi c’est proche de la réalité. Les meilleurs joueurs ne jouent pas ou jouent très peu en AHL. Après leur repêchage, la très grande majorité retournent jouer pour une équipe de calibre inférieur où les coachs ne sont pas ceux de l’équipe de la LNH. Prenez, par exemple, Jordan Harris. Il s’est écoulé quatre années depuis par son repêchage par le CH. Il n’a participé à aucun camp d’entraînement de l’équipe et n’a été coaché que par le personnel de son université. Joshua Roy qui a explosé la saison passée après avoir été repêché par le CH. Allez-vous me dire que c’est le système de «développement» du club qui est la cause de ce retournement spectaculaire de situation? Bien sûr que non, ça vient du joueur en très grande partie et un peu de son encadrement au niveau junior.

Six joueurs repêchés sur onze en 2018 par le club montréalais n’ont pas signé de contrat avec le club, et ce, sans avoir été «développés» par les coachs de l’organisation. Le club a simplement fait le constat que ces jeunes n’avaient pas ce qu’il fallait pour espérer percer un jour dans la LNH. L’idée de tenter de les «développer» était inapplicable. Le talent était simplement insuffisant. Je me répète, cette histoire de «développement» est un fantasme de dépisteurs frustrés qui veulent reporter sur des coachs leurs erreurs de repêchage. Si Slafkovsky n’a pas ce que les bonzes du CH ont vu en lui, ce n’est pas Martin Saint-Louis qui va le sauver, comme Saint-Louis n’a pas sauvé Caufield et Suzuki la saison dernière.

C’est croire que des joueurs de ce calibre sont de petites choses bien fragiles que de penser qu’un coach va faire la différence. Caufield, Saint-Louis ou pas, aurait fini par retrouver le fond du filet. Le jeune était juste pris dans un club en plein marasme qui jouait pour avoir la tête du coach. À mon avis, la crème finit le plus souvent par remonter à la surface, et si elle ne le fait pas, c’est qu’il y avait une faille ailleurs chez l’individu. Une faille qui n’a rien à voir avec son talent de joueur de hockey et sa volonté de réussir. Le seul aspect où je pense qu’une équipe peut avoir un impact négatif sur un joueur, c’est si elle le fait graduer trop vite, et ça n’a rien à voir avec un système de développement, ça dépend de la politique de gestion hockey d’une équipe. Un DG devrait toujours pencher du côté de la prudence avec un jeune joueur. Le faire graduer une année trop tard plutôt qu’une année trop tôt. C’est simple.

Bien sûr, un autre aspect qui peut ralentir la progression vers la LNH d’un jeune joueur est la question de son utilisation par l’équipe et des vraies opportunités qui lui sont données, mais encore là, ce n’est pas une question de «développement» supérieur ou inférieur. Parfois c’est simplement circonstanciel, dépendant de la situation du club, mais généralement, ces joueurs qui sont retardés pour ce genre de raisons vont finir par avoir leur chance pour l’équipe qui les a repêchés, ou pour une autre. Si Kirby Dach réussit à Montréal, il tombera dans ce cas de figure, soit celui d’un joueur talentueux qui avait juste besoin de plus de temps pour s’établir et atteindre son plein potentiel. Les circonstances comptent au hockey comme dans la vie en général, mais les vrais finissent par trouver la bonne occasion et ne la manquent pas.

Tout ça pour dire, que ce qui compte vraiment, c’est le repêchage et que c’est un art qui implique en lui-même un fort taux d’échec. Les journalistes auront beau nous bassiner avec leurs histoires de «développement», pour moi c’est n’importe quoi. Le succès ou l’échec est déjà inscrit dans chacun de ces joueurs en assumant que chacun aura droit à l’encadrement nécessaire de la part des équipes qui les ont repêchés. La plupart ne signeront jamais de contrat avec ces équipes. Dans les deux à quatre prochaines années, il n’auront pas démontrer mériter un contrat de la LNH. C’est ainsi. Ça se joue au repêchage.

Pour revenir à la réalité des Canadiens, ne vous attendez pas à ce que Slafkovsky ait un grand impact à Montréal cette année. Si j’étais DG, je lui trouverais un club junior en OHL. Slafkovsky a été repêché par les Otters d’Érié, un des pires clubs de la OHL l’an passé. Je demanderais donc à Érié de l’échanger à une équipe aspirante, et il y jouerait une saison entière en espérant le voir dominer offensivement. Ce jeune a besoin de jouer dans une ligue où il pourra accumuler beaucoup de points. Le problème, c’est que ça n’arrivera pas. HuGo ne seront jamais assez audacieux pour poser ce geste. Le CH va encore avoir une mauvaise équipe cette année, Slafkovsky n’a rien à gagner à jouer à Montréal la saison prochaine. Je lui ferais jouer le plus de matchs pré-saison possibles, je lui donnerais peut-être quelques matchs réguliers si il en avait assez montré au camp, puis je l’enverrais dans le junior. Le même plan que je prônais pour Wright. J’essaierais que Slafkovsky et Mesar se retrouvent tous les deux sur la même équipe en OHL. Les droits de Mesar appartiennent aux Rangers de Kitchener.

J’y irais de cette façon car encore une fois la prochaine saison sera difficile à Montréal et je pense que la direction devrait être très claire sur ce point dès le départ et l’envoi de Slafkovsky dans les rangs junior marquerait un grand coup. Ce serait une façon sans équivoque de bien faire comprendre que les Canadiens ne sont pas là pour le court terme. Le club n’agit pas à la façon des Hawks de Chicago, il n’est pas question de stratégie de la terre brûlée, mais la saison prochaine ne sera pas facile et le succès de cette saison ne se comptera pas en nombre de victoires. Ce qui compte sera de donner de l’expérience aux jeunes joueurs tout en maintenant une culture d’équipe basée sur une éthique de travail irréprochable.

Aussi, Martin Saint-Louis aurait intérêt à remettre les pendules à l’heure et à faire comprendre à certains journalistes énervés qu’il n’est pas un alchimiste, qu’il ne transforme pas le plomb en or. Je persiste à croire que la plus grande force de Saint-Louis, c’est sa personnalité. Il semble un très bon communicateur, et aussi un bon motivateur, mais je reste à être convaincu de ses talents de coach et de sa maîtrise d’une façon de jouer pour son club. Tout cela semblait très flou lors de son dernier point de presse l’an dernier, et pour ajouter à cela, il a perdu Luke Richardson. Je vois un danger au niveau du coaching la saison prochaine. Comme je l’ai souvent mentionné, l’an prochain, Saint-Louis sera l’homme en charge dès le départ. Si ça dérape, ce sera lui le pilote, le responsable et il sera pointé du doigt et on lui posera des questions différentes de celles de l’an passé où il agissait plus comme un préposé au nettoyage après sinistre. L’audace va faire connaissance avec la réalité du marché montréalais la saison prochaine, et le réservoir d’indulgences qui était à ras bord depuis l’arrivée de la nouvelle direction va aller en diminuant et les tensions avec les médias et les impatients en augmentant. La lune de miel semble se poursuivre, mais en réalité, elle est terminée. La vraie histoire commence pour HuGo, Saint-Louis et compagnie. Plus ça ira, plus ils auront de compte à rendre.