Les choses continuent d’aller très mal pour le CH, et, sans surprise, on peut lire des journalistes écrire que si les choses ne se replacent pas rapidement, le couperet devrait tomber sur Bergevin et autres haut placés dans la direction de l’équipe. À mon avis, cette solution est celle de la facilité, et surtout, pour faire image, elle maintiendrait une sorte d’éternel recommencement.
Vous le savez, à part du CH au hockey, mon autre équipe favorite, que je suis aussi de très près, sont les Patriots de la Nouvelle-Angleterre au football de la NFL. On s’entend, le CH de Bergevin n’a jamais même frôlé l’excellence des Pats de Bill Belichick. Ceci dit, les Pats ont vécu récemment un processus qui me rappelle ce que vit le CH actuellement. Durant une période de cinq saisons, entre 2015 et 2019, les Pats ont participé à quatre Super Bowls, en ont perdu un, gagné trois, avec comme leader incontesté sur le terrain, le quart-arrière Tom Brady. Durant cette période, Bill Belichick a fait des échanges et a joué avec les règles du plafond salarial pour maximiser la force de son équipe pendant ce qu’il croyait être les dernières années de Brady. Toujours est-il que rendu à la saison 2020, même avec Brady toujours en poste, le club a montré des signes clairs de déclin. Brady avait l’air plus vieux, mais on sentait aussi qu’il était moins bien entouré, avec moins de joueurs de talent pour l’aider. Néanmoins le club a fait les séries, mais s’est fait sortir au premier tour. La fiche intéressante de 12-4 du club cette année-là était trompeuse. Sans Brady les Pats aurait été un club de 0.500, au mieux. Brady voulait une prolongation de contrat de deux ans qui l’aurait mené à 45 ans. Belichick n’a pas voulu la lui donner car il savait qu’il n’avait plus le talent nécessaire pour entourer son quart vieillissant. Il a donc laissé partir Brady comme joueur autonome en sachant que ça signifiait une forte baisse de régime pour son équipe et que le salut futur passerait par l’acquisition d’un quart capable de succéder à Brady, sans que ce quart soit nécessairement aussi bon que Brady. Il lui fallait trouver un successeur viable avec plusieurs des qualités du jeune Brady d’il y a 20 ans.
Belichick a donc eu la lucidité de s’apercevoir que son club après un niveau de succès inégalé devait passer à l’après Brady. Pas parce que Brady était fini, mais parce que les Pats n’avaient plus le talent nécessaire pour aspirer au grand honneur, même avec lui, et que la présence de Brady ne faisait que masquer la réalité du déclin du club. En laissant partir Brady, Belichick assumait que le niveau de performance de son club allait reculer, mais cela ne l’a pas arrêté, même s’il n’y avait rien de garanti pour la suite. Sans un quart élite dans la NFL d’aujourd’hui, il n’y a pas de succès réel qui est possible. Belichick se lançait donc dans l’inconnu, et l’étape cruciale pour espérer obtenir du succès sans Brady était de trouver un bon quart. Belichick est encore dans ce processus actuellement. Il a repêché un jeune quart en milieu de première ronde cette année et il lui donne de l’expérience actuellement. Il ne sera pas Brady, mais il montre de bons signes et son club a une fiche de 4-4 actuellement. Rien n’est assuré pour la suite, mais Belichick a fait ce qu’il devait faire. Il a assumé que son club avait atteint la limite avec un Brady encore bon, mais vieillissant. Il devait trouver une successeur au poste de quart et améliorer la performance globale de l’équipe au repêchage, élément qui avait fortement décliné durant la période glorieuse de 2015-2019. Le grand club dominait, mais les performances au repêchage piquaient du nez. Ce qui a contribué à l’impasse de 2020 pour les Pats.
Cette histoire nous ramène au CH, avec tous les bémols nécessaires. Le CH ne se compare pas aux Pats ces 20 dernières années. Deux mondes. Ceci dit, il y a quand même une similitude. Le CH vient de perdre les deux vétérans élites qui les avaient mené en finale la saison passée en Price et Weber. Ni l’un ni l’autre de ces joueurs ne se compare à Brady en terme d’excellence. Ceci dit, à l’échelle du CH, la perte de ces deux joueurs peut se comparer, jusqu’à un certain point, au départ de Brady pour les Pats. Ça laisse un grand vide.
Sur ce blogue j’avance depuis un bon bout de temps que le CH doit passer à l’après Price/Weber. Le club doit faire comme Belichick a fait par rapport à Brady. Price reviendra probablement au jeu cette saison, mais on sait qu’il a peu de chances de redevenir un facteur déterminant dans la performance de l’équipe. Le gars est hypothéqué. Molson doit tirer la conclusion de cet état de fait. L’observateur averti savait depuis un bon bout de temps que le CH n’était pas un vrai club aspirant. Le printemps passé il ont été plus loin qu’il était logique d’espérer, et on a vu que le club ne pouvait pas rivaliser avec Tampa Bay. La saison dernière, dans des circonstances particulières, Price a mené ce club plus loin qu’il était réaliste d’espérer. La limite des limites a été atteinte. À partir de ce constat, seul un recul brutal était possible et on le vit présentement. Ce n’est pas la faute de Bergevin, ni la faute de Ducharme. C’est la réalité des choses. Comme Belichick, Molson doit encaisser le réel et partir de là. Je parle de Molson par rapport à Belichick car à Montréal présentement, celui qui a l’avenir du club entre ses mains, c’est Molson et non son DG en fin de contrat, alors qu’en Nouvelle-Angleterre, Belichick est solidement en poste pour ce qui est des décision stratégiques au niveau football.
Donc, Molson doit être réaliste et bien lire la situation. Le club a eu sa ballade très improbable jusqu’en finale, contre toute attente, mais maintenant c’est le retour à la dureté du réel. Les journalistes évoquent le couperet pour les dirigeants du club si l’équipe ne se met pas à mieux jouer. Pour moi l’enjeu n’est pas là. Cette baisse de régime de l’équipe était prévisible, tellement que je l’avais moi-même anticipée, et il n’y avait pas besoin d’être un devin pour le faire. Tous les indicateurs pré-saison pointaient vers ça.
Selon moi, la question que Molson doit se poser c’est de savoir ce qui est le mieux pour l’avenir de son équipe. La continuité de la direction actuelle, ou tout foutre par terre et repartir à neuf. À moins qu’une solution mitoyenne soit possible. La première question est de savoir où en est Marc Bergevin dans sa tête. A-t-il encore les ressources psychologiques pour bien poursuivre son travail, ou bien est-il trop usé mentalement? Si Bergevin a encore les ressources nécessaires pour continuer à 100%, je le garderais car il est un meilleur DG aujourd’hui qu’en 2012. Ceci dit, je ne le garderais pas sans un recadrage de son mandat et de ses manières de procéder. J’aurais une longue réunion avec lui pour faire le bilan de ses 10 premières années en poste et tout serait passée en revue. Ses forces seraient mises en exergue, mais aussi ses faiblesses, en insistant que si je lui donne une prolongation de contrat, c’est qu’il a plus de forces que de faiblesses. Ce qui n’empêche pas qu’il devra corriger ses faiblesses. Ces faiblesses sont essentiellement son émotivité mal contrôlée face à certains de ses joueurs. Ses prises de décisions doivent être aussi objectives que possible. Son autre grande faiblesse, et elle découle en partie de son émotivité mal contrôlée, c’est au niveau de ses offres de contrats pour des prolongations de joueurs déjà avec l’équipe, ou à des joueurs autonomes. Autant Bergevin négocie bien pour des échanges avec d’autres DG, autant il négocie souvent mal avec les agents de joueurs. Un DG ne peut être parfait au niveau des contrats qu’il octroie, mais Bergevin s’est trompé beaucoup plus souvent qu’il n’a eu raison, et a parfois été sauvé de lui-même par des joueurs qui ont refusé ses offres. Voilà pour le cas Bergevin.
Toutefois, dans l’éventualité où Bergevin serait au bout du rouleau mentalement, ou qu’il refuserait la critique justifiée de certains aspects de son travail, alors Molson devrait décider de la suite à donner à la direction hockey de son club. La première question qu’il devrait poser, c’est à lui-même. Faire la critique des faiblesses de Bergevin, c’est une chose, mais faire son autocritique c’est plus difficile. Je reviens souvent avec cet élément d’analyse, mais Molson devra se demander s’il est temps de mettre un terme à la politique du « tenter de faire les séries à chaque année ». Cette doctrine semi-officielle empoisonne la gestion de cette équipe depuis toujours. Dans le temps de la ligue à six clubs elle allait de soi, même chose à 12 clubs ou quand 16 clubs sur 21 faisaient les séries. Toutefois, dans une ligue où maintenant un club sur deux fait les séries, cette façon de voir les choses ne peut plus être systématique. Le proprio du club doit être réaliste et avoir de la perspective. La plupart des gagnants de la coupe des 20 dernières années ont eu à payer le prix d’un séjour hors des séries avant de connaître du succès. C’est pratiquement un passage obligé. Le piège qu’il faut éviter s’est de s’enliser dans la médiocrité.
Donc, pour revenir à Molson, il doit renoncer à ce mandat qu’il donne à ses DG, et s’il doit nommer un nouveau DG, il doit renoncer à le choisir en fonction d’un plan de retour rapide en série. Au contraire, si un nouveau DG devait être nommé, il devrait l’être en fonction de son plan d’ensemble pour arriver à construire un club champion à terme, et un club qui pourra se maintenir dans le premier tiers de la ligue sur une longue période avec un solide plan de gestion des actifs. Un plan pouvant permettre un afflux régulier de jeunes talents couplé à une politique d’échange au moment propice des joueurs vieillissants. Si je devais engager un nouveau DG pour le CH, je voudrais quelqu’un qui pourrait remplacer Bergevin dans la structure de direction actuelle du club sans tout foutre par terre. Ceci dit, amener quelqu’un de l’extérieur comme DG, sans faire plusieurs jaloux ou frustrés à l’interne, ne serait pas facile. À moins que le successeur soit déjà dans l’organigramme actuel.
Je ne sais pas ce que Molson va faire, mais baser sa décision sur les performances actuelles de l’équipe n’aurait aucun sens. Il doit voir plus large et voir plus loin et il doit se remettre en question lui-même dans son approche. Décréter la fin du « reset » comme il l’a fait en septembre 2020, juste deux ans après avoir annoncé le début de celui-ci était complètement ridicule. Je lisais Mathias Brunet l’autre jour qui écrivait qu’il faudrait lancer un deuxième « reset » après celui de 2018. Voyons donc! La réalité c’est que le « reset » de 2018 n’est même pas terminé. Bergevin n’a pas touché à ses jeunes actifs de valeur depuis l’échange de Sergachev contre Drouin. Tous les autres choix et prospects de qualité ont été gardés. Il n’y a que Kotkaniemi qui a été perdu à cause de la stupide offre à Aho, et aussi un choix de premier tour 2022 qui devra aller en Arizona en retour de Dvorak, mais tout ça découle de la stupide offre à Aho. Autrement, le reset de 2018 ne s’est jamais arrêté et le pipeline est bien plus garni qu’il ne l’était en 2018. Alors Molson a vraiment un examen de conscience à faire avant de porter le blâme sur les autres. Et pour l’offre à Aho, de l’extérieur on ignore qui est responsable de cette connerie. Est-ce que ça vient de Bergevin ou de Molson, car n’oubliez pas que la prémisse supposée de cette offre était que la situation financière de Dundon, le proprio des Canes, était chancelante. Donc, ça relèverait, en principe, plus de Molson que de Bergevin. Ceci dit, on l’ignore.
Au final, dans la situation actuelle du club, le personnage important n’est pas Bergevin, c’est Molson. C’est lui qui détient le pouvoir et c’est lui qui est en poste depuis le plus longtemps. C’est lui qui pousse pour que le club fasse les séries à chaque année au détriment d’une stratégie à plus long terme. C’est lui aussi qui a perdu en crédibilité en pensant qu’une réinitialisation pouvait ne durer que deux ans. C’est peut-être aussi lui qui est derrière la stupide offre hostile à Sebastian Aho. À tout le moins, il a entériné ce geste débile. Donc, changer de DG, ou garder Bergevin, sans changer la philosophie de base de l’organisation ne changera pas grand chose. Avec la fin de Price et Weber, obtenu pour Subban, le CH sort en réalité de l’ère Bob Gainey, et il faut en profiter pour revoir les façons de faire car le fil rouge qui relie ses 20 dernières années a été une quête continuelle pour avoir un club respectable, mais jamais un club champion. L’organisation n’a jamais eu cette patience et cet engagement. Ces 20 années ont été une suite de coups tactiques sans vision stratégique. Cela doit changer, et celui qui a le pouvoir de changer cela est Geoff Molson. Le temps des bouc émissaires devrait prendre fin. Le regard devrait se porter vers le siège réel du pouvoir dans cette organisation, celui du président et copropriétaire.